Instants croqués: le sac de couchage
Je ne peux pas imaginer l'interdit sans avoir terriblement besoin d'y succomber. C'est le fameux: "Ne pensez pas à une girafe rose!". Quelle est la première image qui s'impose à vous ?
Ma vie ressemble à cette girafe rose. Je ne suis qu'une enfant devenue grande. Il est minuit et demi et ce soir, je suis emmitouflée dans un sac de couchage. Je crois que je suis bien.
Juste au chaud, juste comme il faut.
Mais plus je pense à combien je suis bien, non vraiment, je n'ai besoin de rien d'autre c'est parfait, et plus les pensées insidieuses me hantent. Plus je lutte pour les repousser et plus mon esprit vient me titiller. Il s'égare et se focalise sur une idée, une seule idée, fixe, qui peu à peu prend toute la place: dans ce sac de couchage je ne peux pas bouger.
Mon corps est confiné. Et si l'envie me prenait de bouger les jambes?
Là, je suis bien, sans doute, mais plus tard dans la nuit? Mon corps se met à fourmiller à cette pensée.
Alors je ne ressens plus rien d'autre que l'envie d'étendre mes jambes, les étirer au maximum. Ma respiration s'accélère.Plus je me sais retenue et plus j'ai besoin d'autre chose... Je chasse l'image mais voilà qu'elle revient. Et plus je la chasse, plus mon désir grandit jusqu'à devenir intolérable. Il n'y a bientôt plus rien au monde que cette soif de vivre. Me libérer, déchirer ce sac qui me contient.
Ma main descend la fermeture éclair d'un geste brusque et définitif.
Je ne remarque qu'à cet instant-là la fièvre à mes tempes, les palpitations de mon coeur. Je ferme les yeux, je laisse la fièvre s'apaiser d'elle-même. J'inspire profondément et je m'endors enfin, immobile mais libre.